L'Art Subtil de Savoir se Perdre
- Carolina Oettinger
- 27 déc. 2024
- 3 min de lecture
"Tout ne peut pas être perdu
lorsqu'il y a encore tant à découvrir."
Pendant la majeure partie de ma vie, je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir perdue. Je cherchais perpétuellement des endroits où je pourrais enfin me sentir à ma place. Et chaque fois que j'avais le sentiment qu'enfin, je m’en approchais, les choses me glissaient entre les doigts et je devais tout recommencer.
Cette réalité terrifiante m’a souvent figée dans le temps. Soit dans le passé, soit dans le futur, et pour cette raison, je n’ai jamais réussi à m’ancrer dans le présent. Car non seulement je me sentais perdue, mais j’avais aussi une peur panique de perdre ce que la version de moi-même "moins perdue" avait construit. Tout cela m’a souvent amené à m’accrocher si fort à certaines situations que je refusais de lâcher prise, même si mes doigts en saignaient.
Vous pourriez penser que j’exagère, mais croyez-moi, je n’ai jamais été douée pour laisser partir les choses ; le sous-sol de ma mère en est la preuve vivante. Combien de vieilles boîtes à chaussures contenant des bribes de mon passé possédé-je ? Trois ? Quatre ? Toutes remplies de petites enveloppes — soigneusement cataloguées par années, bien sûr — contenant de petits souvenirs comme des tickets de cinéma ou de concert, des photos et des cartes d’anniversaire… S’accrocher au passé apaisait souvent la réalité douloureuse du présent et la peur de ce qu’il deviendrait dans le futur.
Inutile de dire que ce mécanisme d’adaptation ne m’a pas été très utile sur le long terme.
Comme si comprendre qui j’étais, qui je voulais être et où je pouvais m’intégrer ne demandait pas déjà suffisamment d’efforts, j’ai passé un temps infini à me fixer des échéances imaginaires pour décider de quand je devais faire ou savoir quelque chose. Apprendre à conduire, avoir mon propre appartement, ou savoir ce que je voulais faire de ma vie. Je pensais aussi qu’il y avait des éléments non négociables à propos de qui j’étais et de ce que j’aimais, et que je devais les connaître à ce stade de ma vie : mon film préféré, ma couleur préférée, ou mon plat préféré, etc.
C'est en me plongeant dans les livres que j'ai eu la réponse. Ayant appliqué une perspective constructiviste à la plupart de mes essais académiques, j’ai un matin tout simplement décidé d’adopter la même approche dans la vie. Le constructivisme repose sur l’idée que les individus construisent activement leurs connaissances et que la réalité est déterminée par leurs expériences en tant qu’apprenants. Cela signifie que les apprenants utilisent leurs connaissances préalables comme base et les enrichissent avec de nouvelles choses qu’ils découvrent.
En d’autres termes, nous sommes en constante évolution, et le sens que nous donnons à nos vies ne devrait pas être figé. Nos couleurs préférées changent, nous tombons amoureux et puis en fait non, nous nous connaissons, puis nous ne nous connaissons plus, nos besoins évoluent et nos désirs aussi. Se sentir perdu laisse la place à de nouvelles versions de nous-mêmes, et peut-être que ce n’est pas une si mauvaise chose.
Il y a quelque chose de profondément rassurant dans le fait de savoir que je suis un collage de toutes les versions de moi-même qui ont jamais existé. Parce qu’elles n’ont jamais été perdues. Et tant que je les ai, je me possède moi-même.
Il m’a fallu quelques années pour comprendre l’art subtil de se perdre. Il m’a aussi fallu du temps pour comprendre qu'"être perdu" et "se sentir perdu" sont sensiblement différents.
En résumé : être perdu est un bel endroit pour se retrouver.
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